© F. BLANC
Le XXVe congrès de FO n’est en rien une bulle hors réalité. Preuve en est ce qui a été exprimé à la tribune depuis le 30 mai concernant la question du pouvoir d’achat. Par leurs interventions, éléments concrets à l’appui, les délégués soulignent la difficulté de plus en plus forte des salariés pour faire face aux dépenses courantes, dont celles contraintes. Cette situation, encore aggravée par l’inflation galopante, montre, s’il en était besoin, toute l’urgence qu’il y a à satisfaire la revendication de FO d’une hausse massive des salaires, tant dans le privé que dans le public.
Ce 30 mai, alors que débutait à Rouen le XXVe congrès de FO, un court reportage de l’AFP, réalisé à 300 kilomètres de là, au crédit municipal de Rennes, titrait Face à la hausse du coût de la vie, le prêt sur gage revient en grâce. La dépêche illustrait une situation n’ayant rien d’un épiphénomène, soit l’incapacité de plus en plus grande des travailleurs, actifs comme retraités, de faire face.
Un quadra en manque d’activité professionnelle mettait en gage son ordinateur ; une jeune femme apportait elle sa bague de fiançailles et l’alliance de son père pour payer la facture de 450 euros pour la réparation de sa voiture ; une femme de 73 ans, ancienne employée du secteur de l’assurance et percevant une pension de retraite de 1 500 euros, gageait, elle, quelques bijoux pour se payer un implant dentaire non remboursé… Autant d’exemples traduisant les souffrances pour assurer le quotidien, en se privant y compris de certaines denrées alimentaires, en redoutant, en l’absence de tout matelas financier, de devoir faire face à un imprévu…
L’interview du directeur de l’agence rennaise du crédit municipal précisait l’évolution de cette situation : les dépôts pour mises en gage ont augmenté de 17 % en un an et par ailleurs un nouveau public, a priori moins défavorisé, a recours lui aussi au mont-de-piété.
Ces constats sont de la même veine que ceux présentés par la Banque de France en avril. Celle-ci indiquait qu’au premier trimestre 2022, près de 190 000 Français ont rencontré des difficultés dans le remboursement d’un crédit, soit 15 % de plus que lors de la même période l’an dernier.
Le salaire doit permettre à tout un chacun de vivre dignement du travail
Depuis ce 30 mai, à la tribune du congrès FO, moult délégués ont évoqué cette mise à mal du pouvoir d’achat, révélatrice de salaires trop faibles, et ce, d’autant plus que l’inflation atteint en mai 5,2 % sur un an. Dans son rapport d’activité, le secrétaire général de la confédération rappelait lui que les salariés ne demandent pas la charité, ils ne demandent pas un chèque alimentaire, une indemnité inflation, une prime Macron, ils revendiquent d’être rémunérés, justement, de leur travail. Parce que la reconnaissance effective, le partage de la valeur travail, c’est le salaire ! Parce que le salaire doit permettre à tout un chacun de vivre dignement du travail.
La question du pouvoir d’achat est devenue une urgence, appuyait Yves Veyrier. Or, pour l’instant, sur le pouvoir d’achat les réponses qui y ont été apportées ou annoncées ne sont pas toujours, depuis de nombreuses années, l’augmentation des salaires. Même si, rappelait-il, cette revendication salariale de FO n’est pas nouvelle et ne date pas de la flambée des prix depuis l’automne.
L’ampleur de la faiblesse des revenus salariaux
Le 9 octobre 2018 était, déjà, une journée nationale de mobilisation et de grève interprofessionnelle. En tête des revendications ? L’augmentation générale des salaires, des retraites et pensions, des traitements et minima sociaux. FO demandait une prime transport, l’ouverture de négociations salariales dans les branches et entre autres aussi un coup de pouce massif au Smic, une hausse du salaire indiciaire dans la fonction publique… L’absence de réponses, tant du patronat que du gouvernement, constituera un des déclencheurs des mouvements sociaux de l’automne 2018.
Le gouvernement a préféré en effet des mesures ersatz, telle la prime d’activité de 100 euros pour les Smicards puis, en décembre dernier, le chèque inflation de 100 euros pour les actifs et retraités percevant moins de 2 000 euros par mois. Or ces mesures sont en elles-mêmes un aveu, insistait Yves Veyrier, la prime d’activité montrant qu’on ne peut pas vivre décemment, bien que travaillant, avec un Smic à ce niveau.
Plus largement, cette prime révèle l’ampleur de la faiblesse des revenus salariaux : plus de quatre millions de foyers concernés. Quant à la prime inflation, elle faisait la démonstration que plus de la moitié des salariés – le salaire médian net se situant à 1 940euros – ne pouvaient faire face à l’augmentation des prix avec leur seul salaire !.
Paroles de délégués : pour le pouvoir d’achat, l’urgence d’une augmentation des salaires
Parmi les 210 interventions de délégués à la tribune, nombre d’entre elles évoqueront donc le pouvoir d’achat, les difficultés afférentes et la revendication de l’amélioration de la situation par le salaire. Alain André (FNEM-FO) confirmait ainsi le préavis de grève le 2 juin dans les industries électriques et gazières sur la question des salaires et du pouvoir d’achat. En un an, soulignait-il, les salaires des électriciens et gaziers n’ont été revalorisés que de seulement 0,3 %. De rien en somme.
Dans le secteur des transports et de la logistique, où les salaires sont particulièrement bas et souffrent du dumping social auquel joue le patronat, une grève à l’appel de plusieurs syndicats dont FO-UNCP est programmée le 27 juin, annonçait Patrice Clos.
Pierre Courrèges-Clerc, de Dordogne, soulignait quant à lui la souffrance des salariés dans un département où le salaire moyen est parmi les plus bas de France. Christian Cadio évoquait la situation de salariés morbihannais du secteur du nettoyage, ceux de la deuxième ligne. Des salariés dénommés ainsi depuis la crise Covid et à l’instar, entre autres de ceux des secteurs de l’alimentaire. Ils subissent des contrats à temps partiel, des horaires atypiques, ils ont des emplois peu rémunérés… Bilan de cette situation : Les salaires ne suffisent pas pour vivre au quotidien.
Les patrons ont des oursins dans les poches !
La flambée du prix de l’essence est à elle seule un problème. Des collègues ont des contrats de quatre heures de travail par jour et avec une répartition de deux heures le matin et de deux heures le soir. D’autres assurent 30 à 40 chantiers par jour et sans indemnité de déplacement ! Doit-on assumer des charges pour pouvoir travailler ? Jocelyne Martin, du secteur nettoyage aussi, dans le département des Côtes-d’Armor, appuyait ces propos. La plupart des salariés sont à temps partiel et n’ont plus les moyens financiers de se rendre sur leur lieu de travail. Les patrons ont des oursins dans les poches !
Se serrer la ceinture pour pouvoir faire le plein d’essence !
Les salariés du commerce sont des salariés pauvres, martelait Gérald Gautier, évoquant la situation en Haute-Garonne. Ils se mettent en arrêt en fin de mois car ils n’ont plus les moyens de se rendre sur leur lieu de travail. Nombre de délégués ont évoqué cette difficulté liée à la hausse fulgurante du prix de l’essence, tel Jacques Mosse Biaggini (secteur du Commerce, DSC de Conforama). Beaucoup de collègues se serrent la ceinture pour pouvoir faire le plein d’essence ! Un comble. Dans cette entreprise qui a fait un PSE impactant 1 900 salariés, les exonérations de cotisations sociales employeur représentent 10 millions d’euros quand l’enveloppe pour les dernières NAO est seulement de la moitié de ce montant, s’indignait le militant, tandis que Nicolas Di Gregorio (secteur des assurances) annonçait lui une grève le 2 juin au sein de la société d’assurance Mutex (groupe VYV). Une grève pour les salaires et avec une demande d’augmentation de 8 %.
Dans l’Hérault, qui affiche un taux de 10 % de demandeurs d’emploi parmi la population active, 63 % des chômeurs bénéficient du revenu de solidarité, 19,7 % des habitants du département vivent sous le seuil de pauvreté, indiquait Franck Mary-Montlaur, signifiant ainsi les difficultés pour les dépenses du quotidien. Constat aussi d’appauvrissement des travailleurs par Jean-Pierre Glacet, citant le cas des Ardennes où seuls 42 % des habitants payent l’impôt sur le revenu, soit cinq points de moins que la moyenne nationale, et où le montant moyen de l’impôt est inférieur de 43 % à celui de la moyenne nationale.
Dans un couple, avec deux Smic, il n’y a plus d’argent en milieu de mois
Dans beaucoup d’entreprises, résumait Gérald Albano des Landes, les ouvriers et employés sont sous-payés. Et de citer les trois semaines et demie de conflit qu’il a fallu mener l’hiver dernier au sein de la société de foie gras Labeyrie, où FO est majoritaire, avant d’obtenir une augmentation de salaire de 2,25 %, la révision des grilles et une prime. Cela dans cette société où, si le produit fini a le goût du luxe, les salaires eux sont bas, très bas.
Maintenant « dans un couple, avec deux Smic, il n’y a plus d’argent en milieu de mois », fulminait Jean-Jacques Leleu (secteur des métaux), s’indignant des récents « saupoudrages » effectués par le gouvernement. S’il faut bien sûr « prendre » ces primes et autre chèque énergie, « ce n’est toutefois pas du salaire » et, au final, il y a toujours un « appauvrissement des salariés ».
Ces réformes qui impactent les plus fragiles…
La réforme du mode de calcul de l’allocation logement en janvier 2021 a permis de réaliser 1,1 million d’euros d’économies sur le dos des plus précaires en 2021. Le montant des allocations a baissé en moyenne de 73 euros pour 30 % des allocataires, elle a carrément disparu pour 6 %, soulignait quant à lui Frédéric Neau pour les organismes sociaux du Maine-et-Loire. Et dans ces difficultés accrues de pouvoir d’achat, notamment par la baisse de prestations sociales, c’est sans parler bien sûr de la réforme de l’Assurance chômage, pleinement appliquée depuis décembre dernier, que FO n’a cessé de combattre et qui réduit les droits et le montant de l’allocation pour plus d’un million de demandeurs d’emploi.
Pour vaincre la paupérisation des agents publics, il ne pourra y avoir satisfaction qu’à 23 % d’augmentation de salaire
Certains agents publics doivent dormir dans leur voiture avant de trouver un logement, parfois très éloigné de leur lieu de travail, soulignait de son côté Philippe Soubirous pour les personnels administratifs de la Défense. Ce qui en dit long sur les difficultés aussi de pouvoir d’achat dans le public, en rien épargné. Aucun hasard à cela quand on sait que les premiers échelons de la catégorie C se retrouvent sous le Smic à chacune des revalorisations de celui-ci, que la valeur du point d’indice n’a pas été augmentée depuis 2011, que les grilles indiciaires des trois catégories (A, B et C), de plus en plus tassées, n’ont pas été elles non plus revalorisées…
Sur les salaires, il ne pourra y avoir satisfaction qu’à 23 % d’augmentation, lançait Salima Bouchalta du syndicat Spaseen-FO (personnels administratifs de l’Éducation nationale). Oui, la pauvreté menace les agents ! En catégorie C, le salaire indiciaire est inférieur au Smic jusqu’au huitième échelon, cela donc avec neuf ans d’ancienneté. En B, les agents sont au Smic jusqu’au troisième échelon… Lise-Rose Bizart, du secteur des lycées et collèges (SNLC-FO), confirmait : À l’Éducation nationale il y a une paupérisation des agents.
La politique des primes, ce n’est pas la solution
Jean-Christophe Leroy, du syndicat des ingénieurs du ministère de l’Agriculture (SNIAE-FO), pointait lui aussi une baisse de pouvoir d’achat de l’ordre de 20 %. Et à l’image de l’ensemble de la fonction publique, où une vraie politique de progression salariale n’a toujours pas été activée, il y a un manque d’attractivité à l’agriculture, s’indignait-il. Oui, des collègues commencent au Smic !. Quant à la politique des primes, ce n’est pas la solution. Bilan, On n’arrive plus à recruter, les jeunes démissionnent après deux à trois ans. L’administration recrute alors des contractuels ! Ce qui est le credo instauré par la loi de Transformation de la fonction publique. Dans le secteur de l’agriculture comme ailleurs, les premiers échelons de la catégorie C sont inférieurs au Smic, c’est inadmissible, lançait Catherine Denis pour les agents administratifs.
Alors que certains s’ingénient depuis des années à faire passer les fonctionnaires pour des nantis, Marc Tardy (secteur de la défense) résumait : Le point d’indice n’est même pas aligné sur l’inflation. Avec des salaires qui baissent [en euros constants, NDLR], on n’a rien à envier au privé !
Le salaire au cœur de l’attractivité des carrières publiques
S’il y a eu le Ségur de la santé signé, notamment par FO, à l’été 2020, reste encore beaucoup à faire, en matière de recrutements, massifs, de conditions de travail, mais aussi en matière salariale, soulignait Cyrille Venet du syndicat FO des médecins hospitaliers. Si on veut rendre la carrière hospitalière attractive, on pourrait tripler par exemple l’indemnité de garde, augmenter le point d’indice…, lançait-il. Le secteur de l’action sociale, confirmait quant à lui Jacques Tallec, sera en grève le 9 juin, à l’appel de FO notamment, protestant contre le non-octroi jusque-là de la mesure salariale Ségur de 183 euros à 240 000 salariés.
Ludovic Durand évoquait lui aussi le pouvoir d’achat et les salaires, ceux des agents territoriaux du secteur de la police municipale. Des agents de catégorie C. On demande toujours une bonification de service alors qu’on travaille en horaires décalés, insistait-il. Plus largement, des mesures doivent être prises pour nous. Il faut créer un régime indemnitaire spécifique. Pour l’instant les régimes, aux contenus différents d’une collectivité territoriale à l’autre, sont mis à mal par les employeurs publics. Et ces remises en cause se font dans le cadre de la loi de Transformation de la Fonction publique.
Les travailleurs attendent de vivre dignement, les retraités aussi, résumait Christine Lepetit pour les personnels de la base de la défense à Cherbourg. Paul Barbier, nouveau secrétaire adjoint de l’UCR-FO, rappelait que quelque 500 000 retraités travaillent et que 1,2 million de seniors vivent sous le seuil de pauvreté…
Valérie FORGERONT – Journaliste à L’inFO militante
Le 4 juin 2022