Mercredi 7 février, les représentants de 4 fédérations professionnelles liées aux métiers de l’emploi et de la formation ont annoncé la création d’une entité commune : la Fédération des partenaires de l’emploi. Le plus grand secret avait été conservé autour de l’initiative, prélude, selon ses promoteurs, au lancement d’expérimentations destinées à simplifier l’accès à l’emploi et à mieux répondre aux besoins en compétences des entreprises. S’il est un peu tôt pour se faire une idée précise de ce nouvel organe et de son action concrète, il est possible d’en présenter déjà les acteurs et de situer les enjeux.
Depuis quand l’emploi est-il un métier ?
Les “métiers de l’emploi” : l’expression résonne un peu bizarrement. Elle désigne pourtant un ensemble de compétences et de savoir-faire cruciaux en ce début de XXIe siècle : ceux que requiert le fonctionnement d’un marché du travail en évolution rapide. Formation, orientation, recrutement, reclassement, reconversion… Tous ces métiers concourent à faire se rencontrer les besoins des entreprises et les attentes des individus.
Historiquement, l’emploi, c’était le métier des bourses du même nom – où se confrontaient localement offres et demandes de travail et de compétences. Puis, à partir de 1967, dans la France très centralisée de l’après-guerre, ce fut celui de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE), devenue Pôle Emploi fin 2008 par fusion avec le réseau Assedic. De 1973 à 1986, le code du travail précisait que “les services de l’Etat sont seuls habilités à effectuer le placement des travailleurs.” L’emploi était considéré comme une affaire trop sérieuse pour être confié aux entreprises. Après 1986, des organismes paritaires ou des associations ont été autorisées à s’en mêler, sous réserve d’être agréés pour cela par l’Etat.
Mais le grand tournant dans l’histoire des métiers de l’emploi reste la loi dite de “Cohésion sociale” du 18 janvier 2005, qui mettait fin au monopole de l’ANPE en matière de placement et ouvrait ce marché aux entreprises de travail temporaire. Renommées “agences d’emploi”, celles-ci purent développer de nouveaux services dans le domaine du recrutement et élargir la palette de leurs métiers. Ceux-ci incluent la sélection des candidats, l’étude des besoins en compétences des entreprises, la mise en relation des premiers avec les seconds, la sélection et la mise en oeuvre du type de contrat le mieux approprié (intérim, CDD, CDI, CDI intérimaire…), mais aussi la formation des candidats et des salariés intérimaires…
L’emploi, service ou marché ?
En même temps qu’elle ouvrait le placement au marché, la loi de 2005 créait le Service public de l’emploi. Dans sa version issue de la loi de 2008 qui réorganisait celui-ci, l’article L.5311-1 du Code du travail le définit ainsi : “le Service public de l’emploi a pour mission l’accueil, l’orientation, la formation et l’insertion ; il comprend le placement, le versement d’un revenu de remplacement, l’accompagnement des demandeurs d’emploi et l’aide à la sécurisation des parcours professionnels de tous les salariés”. Le SPE comprend ainsi Pôle emploi (accueil, placement, orientation, accompagnement), l’Unedic (indemnisation) et l’Afpa (formation),
ainsi que l’Etat lui-même et le réseau des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte), pour toute la dimension politique.
La loi de 2005 créait donc, de fait, une sorte de concurrence entre privé et public dans le domaine de l’emploi. Elle posait également les bases d’un partenariat public-privé en la matière, en ouvrant la possibilité, pour Pôle emploi, de contractualiser avec des prestataires extérieurs. Mais les expérimentations, on s’en souvient, n’ont pas été concluantes. Les partisans du public en ont déduit que Pôle emploi connaissait mieux le métier que les acteurs privés ; ces derniers ont protesté qu’on leur avait confié les cas les plus difficiles.
Aujourd’hui, les outils à la disposition des professionnels de l’emploi se sont encore étoffés, en particulier du côté des formes de contrat. Toute une gamme de dispositifs est venue combler l’écart entre le CDI et l’indépendance : portage salarial, groupements d’employeurs, CDI intérimaire, jusqu’au statut d’autoentrepreneur qui, combiné au modèle Uber, achève de brouiller la frontière entre salariat et statut freelance. Tous ces modes de relation au travail ont en commun d’avoir été créés par le privé pour essayer de concilier, de différentes manières et à différents degrés, liberté et protection, flexibilité et sécurité.
Une nouvelle fédération, pour quoi faire ?
Les 4 organisations fondatrices de la nouvelle Fédération des partenaires de l’emploi dont la création était annoncée ce 7 février représentent en grande partie ces nouveaux aspects du marché de l’emploi. On y trouve :
Prism’Emploi, qui réunit les professionnels du recrutement et de l’intérim ;
Le Peps, pour Professionnels de l’emploi en portage salarial, la principale fédération d’entreprises spécialisées dans cette activité ;
La Fédération nationale du management de transition, créée au sein du Syntec pour représenter les professionnels de ce secteur;
La Fédération de la formation professionnelle (FFP), qui représente les organismes de formation.
La nouvelle structure se fixe pour objectif de “faire évoluer le marché de l’emploi face à l’accélération des mutations actuelles”. Présidée par Patrick Lévy-Waitz, patron du groupe ITG (portage salarial), l’association ne vise pas à préparer une quelconque fusion, mais à servir de cadre à des initiatives communes. Elle pourra être rejointe par d’autres acteurs du secteur.
Les objectifs qu’elle se fixe rejoignent les principales préoccupations des professionnels privés de l’emploi. Il s’agit de “contribuer à l’employabilité de tous les actifs” – pour le côté “salarié” et offre de compétences, tout en favorisant “l’émergence des métiers” de demain, pour la dimension “demande”, besoins des entreprises. Cette réconciliation de tendances sinon contraires du moins indépendantes – la volatilité des salariés, la transformation des métiers et le besoin de flexibilité des entreprises – doit se traduire, pour les fondateurs de la fédération, par la “construction d’un nouveau modèle social centré sur les personnes et non plus sur les statuts”. Le nouvel organe assume donc une dimension politique. Enfin, la
Fédération des partenaires de l’emploi aura un rôle plus classique d’interlocuteur des pouvoirs publics pour les métiers représentés, en appui et en coordination du discours des fédérations membres.
Devant les journalistes désireux d’en savoir un peu plus, les orateurs de la conférence de presse – les 4 présidents des organisations membres et le président de la nouvelle fédération – ont levé un coin de voile sur une première initiative : dans les 6 mois, une expérimentation sera mise en place pour permettre une articulation plus facile, dans le temps, des différents types de statut – salariat à temps partiel, travail temporaire, portage salarial, freelance… L’idée est de faire en sorte qu’il soit plus facile de passer de l’un à l’autre sans solution de continuité. L’initiative se suffira-t-elle à elle-même, ou requerra-t-elle des évolutions légales ou réglementaires qui feront l’objet de préconisations ? Il est trop tôt pour le dire.
Alors une nouvelle fédération, pour quoi faire ? Assiste-t-on aux débuts de la création d’un “service privé de l’emploi”, pour faire pendant au service public de l’emploi qui réunit, lui aussi, formation et métiers du recrutement et de l’accompagnement ? On le saura sans doute d’ici quelques mois. On peut noter cependant que les acteurs à l’origine de l’initiative représentent plutôt les nouvelles formes d’emploi, avec un biais en faveur de la flexibilité. Or, une part importante de l’activité, l’essentiel même, correspond à des emplois en CDI dans des secteurs et des métiers inégalement affectés par le numérique, qui n’évoluent pas toujours si vite que cela. Assistera-t-on, plutôt qu’à une concurrence, à l’émergence d’une complémentarité entre dispositifs publics et initiatives privées sur le marché de l’emploi ?
Le 6 mars 2018