Alors que les musées et les expositions sont toujours fermés, les éditions du CNRS viennent de publier un ouvrage très fouillé sur la naissance de l’art contemporain après la Deuxième Guerre mondiale [1]
Béatrice Joyeux-Prunel a enseigné l’histoire de l’art contemporain à l’École normale supérieure de Paris de 2006 à 2019. Aujourd’hui elle est professeure à l’Université de Genève. Elle a déjà publié deux ouvrages sur les avant-gardes artistiques de 1848 à 1918, puis de 1918 à 1945 [2]. Ce livre est donc le troisième volet de son triptyque de recherches.
Dès l’introduction, l’auteure donne le la : Ce livre n’a pas pour objectif de faire aimer à ses lecteurs ce qu’ils voient dans les musées d’art moderne et contemporain. Il veut aider à comprendre ce qui y est exposé ; comment cet art est arrivé dans ces musées ; quelles ont été les trajectoires de ses créateurs, et pourquoi dans la plupart des pays du monde, ce sont pratiquement les mêmes mouvements, les mêmes esthétiques, les mêmes types d’œuvres, voire les mêmes noms qui sont exposés.
Pour l’auteur, et c’est nouveau, voire provocateur, ou plutôt novateur, la scène internationale des avant-gardes artistiques n’est pas plus centrée sur New-York après 1945 qu’elle ne l’a été sur Paris dans les décennies précédentes. Les avant-gardes sont définies comme des groupes se prétendant novateurs, ou considérés comme tels et qui sont parfois à contre-courant des pratiques artistiques de leur époque. Pour Béatrice Joyeux-Prunel, la période 1945-1970 est celle où s’est jouée le plus la querelle de définition esthétique et éthique, mais aussi marchande, du terme « avant-garde ».
Entre contestation et valeur marchande
Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, les avant-gardes artistiques étaient préoccupées par la question du salut. Il s’agit de se « sauver » après la découverte des camps d’extermination, de l’angoisse de la guerre froide, des guerres de la décolonisation.
Les artistes de cette époque ont voulu donner une chance aux arts de changer une société dont la voix principalement entendue, et de plus en plus sujet de détestation, était celle de la bourgeoisie. Ils ont voulu donner du sens à la culture et rendre libres les esprits, voire d’après l’auteur : unir les nations, les cultures au-delà des différences, repartir à zéro, suivant l’impression, explicitée par le philosophe Theodor Adorno, qu’après Auschwitz toute culture traditionnelle est aujourd’hui sans valeur. André Breton, chef des surréalistes, proclamait « changer la vie », slogan repris par les étudiants à partir de 1965 dans les grandes métropoles mondiales.
Ces avant-gardes contestataires et très politisées de la peinture, mais aussi de la sculpture, ont pourtant été la cible, des galeristes et autres marchands d’art et sont devenues un véritable objet de spéculation financière.
Christophe CHICLET – Journaliste à l’inFO militante
Note :
[1] Béatrice Joyeux-Prunel : Naissance de l’art contemporain. Une histoire mondiale 1945-1970, Paris, 2021, CNRS éditions, 608 p., 28 €.
[2] Gallimard, coll. « Folio Histoire », 2016 et 2017.
Le 7 mars 2021