Ce film, sorti en 2018 et actuellement diffusé au cinéma « Le Saint-André des arts » (Paris
6e), raconte comment, en prison, il est difficile de faire valoir ses droits. Au travers de
l’expérience professionnelle d’avocats spécialisés dans cette matière, et montrant de
véritables scènes de justice, le film parvient à restituer l’ambiance et à exposer la
problématique des droits des personnes détenues.
Par Julien Mucchielli le 5 octobre 2020, DALLOZ
« Procédurier » est le vocable par lequel, bien souvent, l’administration pénitentiaire désigne
les détenus qui utilisent les voies de droits pour faire valoir les leurs et, parfois, ceux de leurs
codétenus impuissants face à l’administration, à la « machine » administrativo-judiciaire. Ces
« procéduriers » sont une espèce minoritaire au sein des établissements pénitentiaires, et leur
existence est encore perçue par certains membres de l’administration comme une
incongruité. « Se concentre plus sur les procédures que sur son projet de réinsertion » : c’est Me Benoît David qui cite cette phrase qu’il lit comme une antienne sur les dossiers de ses
clients, qui sont des personnes détenues. Face à lui, Éric, ancien client, ancien détenu et
procédurier.
La scène se déroule dans le bureau de l’avocat. « Comme si on ne pouvait pas faire les deux »,
ajoute-t-il, dépité. Un échange chaleureux entre deux hommes qui évoquent la problématique
des droits en prison. Ils sont filmés en 2017 par la caméra de Catherine Rechard, dont le film
« Le droit d’avoir les droits », sorti en 2018, est actuellement diffusé au cinéma « Le Saint-
André des Arts » (Paris 6e), chaque jour sauf le mardi 6 octobre, jusqu’au 12 octobre.
Mes Benoît David, Étienne Noël, Karine Laprévotte et Delphine Boesel sont des avocats
pénalistes qui exercent principalement en droit pénitentiaire, droit d’application de peines.
On peut dire d’Étienne Noël qu’il fut un pionnier, puisque sa vocation date du mitan des
années 90. À cette époque, les personnes détenues ne pouvaient exercer presqu’aucun
recours contre les décisions prises par l’administration à leur encontre, si bien qu’une forme d’arbitraire y régnait sans partage, celui des sanctions disciplinaires et de la privation de droits, attentatoire à la dignité des personnes détenues.
Depuis, les droits ont fortement progressé :
vendredi 2 octobre, le Conseil Constitutionnel a rendu une décision importante, en censurant des dispositions du code de procédure pénale au motif qu’elles n’offraient pas aux personnes
détenues de voies de recours effectives contre les conditions de détention incompatibles avec
les droits fondamentaux. Cette décision, après celle de la Cour européenne des droits de
l’homme du 30 janvier 2020, est l’aboutissement d’un combat juridique.
Le film de Catherine Réchard filme les « pionniers ». Ceux-ci ont fait école : ils racontent
désormais leur expérience à des élèves-avocats, dont certains ont décidé d’axer leur pratique
sur cette matière. Ils sont encore trop peu, comme le souligne un autre ancien détenu
«procédurier », qui, dans une discussion avec Éric, évoque sa détention. Un jour, cet homme
qui se définissait comme un « lion en cage », écrit une lettre pour le compte de deux détenus
lituaniens au sujet desquels l’Institution s’était manifestement méprise, et qui risquaient 20
ans sur un malentendu. Sa démarche est suivie d’un effet immédiat. Il découvre le pouvoir du
droit et décide de l’étudier. Il devient le « procédurier » de service, subit les commentaires
des surveillants et les mauvais rapports, ainsi que des transfèrements réguliers (16 en 8 ans).
L’homme dit une chose : « Les avocats pénalistes, leur mission ne s’arrête pas au procès ».
L’arsenal juridique s’est aujourd’hui développé, et les détenus, sauf exception, sont assistés
par des avocats en commission de discipline. Grâce aux actions collectives menées par des
associations, des avocats et des instances administratives, le droit des détenus est aujourd’hui une réalité – mais fragile et insuffisante.
Étienne Noël raconte l’histoire de cet homme de 77 ans mort en cellule, seul, car sa demande
de suspension de peine pour incompatibilité de son état de santé avec la détention n’a pas
été traitée assez vite. Karine Laprévotte parle de ce client, filmé dans le reportage,
hémiplégique suite à une agression subie en détention, qui doit attendre 5 mois de voir sa
peine suspendue, alors que son mal, évident, requerrait des soins impossibles à prodiguer en
prison, et que la décision de suspension était inéluctable. Durant le film, une voix off dont on
comprend qu’elle est celle d’un détenu narrant sa détention, dit ceci : « Je ne sais pas vers qui
me tourner pour dire ma souffrance ».
Il y a, en prison plus que partout ailleurs, l’expression impitoyable de la lourdeur
administrative, de la froideur bureaucratique, qui confine à l’absurde, et face à laquelle les
rouages mêmes de cette administration sont impuissants – alors les détenus ! Parfois, c’est
un papier manquant qui ruine des espérances.
Le film de Catherine Rechard expose tout cela
avec crudité et sans apitoiement, exposant le quotidien des commissions de discipline, du
tribunal d’application des peines ; la caméra s’attarde souvent sur les entretiens entre clients
et avocats, et sur les discussions entre avocats eux-mêmes, acteurs parfois victorieux, souvent
impuissants, de l’application des droits.
Le 17 octobre 2020