Les régimes juridiques des accords de réduction du temps de travail, de maintien dans l’emploi, de mobilité interne et de préservation de l’emploi sont remplacés par un régime unique (article 3 de l’ordonnance n°2017-1385) : l’accord de performance collective (APC).
Grande nouveauté, l’article L 2254-2 du code du travail prévoit que l’APC peut être mis en place en vue de préserver ou développer l’emploi mais également afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise.
Ainsi, par le recours à cette notion extrêmement large susceptible de recouvrir une multitude de situations (cette notion veut tout dire et ne rien dire…), le gouvernement consacre la généralisation de la primauté de l’accord collectif sur le contrat de travail. L’employeur aura la voie d’autant plus libre que l’élaboration d’un diagnostic partagé entre l’employeur et les organisations syndicales n’est plus exigée préalablement à la négociation d’un tel accord. Autre assouplissement, l’APC peut être à durée déterminée ou indéterminée, alors que seule la première possibilité était ouverte dans les dispositifs précédents.
Pascal Lokiec fait très justement remarquer qu’en matière de durée du travail, une option sera ouverte : soit opter pour le régime classique de modulation de la durée du travail (art. L 3121-41 et s. du code du travail), soit recourir aux APC, avec, à la clé, des règles de rupture assouplies… Le choix sera vite fait !
Un APC à durée indéterminée est susceptible de devenir un mode de gestion normale de l’entreprise, avec tous les risques que cela comporte…
Pour répondre aux objectifs devant être définis dans le préambule (si l’accord doit contenir un préambule, son absence n’entraîne plus a priori la nullité de l’accord), cet accord peut :
aménager la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition ;
aménager la rémunération, dans le respect des salaires minima hiérarchiques ;
déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise.
Pour être valide, l’APC doit être signé par des syndicats représentant plus de 50% des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives au premier tour des dernières élections professionnelles ou, à défaut, par des syndicats représentant plus de 30% des suffrages et être approuvé par referendum à la majorité des salariés concernés.
A noter que le CSE peut mandater un expert-comptable afin qu’il apporte toute analyse utile aux organisations syndicales pour préparer les négociations en vue de la conclusion de ce type d’accord. Attention, les frais de cette expertise ne sont pris en charge par l’employeur qu’à hauteur de 80 % (art. L 2315-80 du code du travail).
Les stipulations de l’accord se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération, de durée du travail et de mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise. Les articles régissant le forfait annuel (en jours ou en heures) s’appliquent lorsque l’APC met en place ce type de forfait ou le modifie, à l’exception de l’article L 3121-55 du code du travail en cas de simple modification. En d’autres termes, l’accord du salarié se fera conformément aux règles de l’APC en cas de simple modification (art L 2254-2 II).
Si le salarié peut refuser la modification de son contrat de travail résultant de l’application de l’accord, ce refus doit être écrit et effectué dans le délai d’un mois à compter de la date à laquelle l’employeur a informé les salariés. A défaut de réponse dans ce délai, le salarié serait a priori réputé avoir accepté, mais le texte ne le dit pas expressément.
Le refus peut entraîner son licenciement. Dans le cadre d’une QPC soulevée par FO, le Conseil constitutionnel a reconnu que les licenciements prononcés, en cas de refus de se voir appliquer un accord APDE (système prévu par la loi El Khomri), doivent intervenir, sauf à méconnaître le droit à l’emploi, dans un délai raisonnable à compter de ce refus (Conseil Constit., 20-10-17, Décision n°2017-665 QPC). Cette même remarque vaut pour le régime unifié et assoupli prévu par l’article L 2254-2, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n°2017-1385. Tenant compte de la décision du Conseil Constitutionnel, la loi de ratification indique que l’employeur dispose d’un délai de deux mois à compter de la notification du refus du salarié pour engager une procédure de licenciement.
Le licenciement prononcé est réputé reposer sur un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse.
Ce licenciement est soumis à certaines modalités applicables en matière de licenciement : entretien préalable, notification du licenciement, possibilité de recourir aux services d’un conseiller du salarié, préavis, indemnité de licenciement, certificat de travail, reçu pour solde de tout compte. La lettre de licenciement doit être motivée ; le motif du licenciement réside dans le refus du salarié de la modification de son contrat de travail résultant de l’application de l’accord collectif. Si l’ordonnance n’imposait aucune mesure spécifique d’accompagnement ou de reclassement [tout juste prévoyait-elle que l’employeur était tenu d’abonder le compte personnel de formation (CPF) à hauteur de 100 heures], la loi de ratification précise que les accords de compétitivité peuvent (facultatif) prévoir les modalités d’accompagnement des salariés, ainsi que l’abondement du CPF au-delà du montant minimal de 100 heures (montant minimum de 3 000 euros dorénavant).
S’agissant des accords de mobilité, la Cour de cassation a précisé que le caractère réel et sérieux du licenciement consécutif au refus d’un salarié de l’application à son contrat de travail des stipulations de l’accord de mobilité interne suppose que cet accord soit conforme aux dispositions légales le régissant. La chambre sociale considère également que le caractère réel et sérieux d’un licenciement faisant suite à un refus du salarié d’appliquer à son contrat de travail des stipulations de l’accord de mobilité interne suppose que l’accord de mobilité interne soit justifié par l’existence des nécessités du fonctionnement de l’entreprise, ce qu’il appartient au juge d’apprécier (Cass. soc., 2-12-20, n°19-11986).
Cette position, rendue à propos des accords de mobilité, pourrait trouver à s’appliquer aux APC. L’objectif des APC est de répondre aux nécessités de fonctionnement de l’entreprise ou de préserver ou développer l’emploi mais non de provoquer des refus de modifications contractuelles. Il existe par ailleurs une réglementation spécifique sur les licenciements collectifs. L’APC ne peut donc, selon nous, avoir pour finalité première la réduction des effectifs et être utilisé pour contourner la réglementation sur les licenciements économiques collectifs.
Force Ouvrière voit dans l’APC une atteinte à un bien au sens du protocole n°1 de la CEDH, dans la mesure où l’accord collectif touche à la rémunération du salarié, élément majeur du contrat de travail, qui peut être assimilée à un bien.
Dernier point qui pose problème pour Force Ouvrière : peut-on considérer que la négociation qui est intervenue afin de conclure les APC peut être assimilée à l’information et à la consultation en vue d’aboutir à un accord prévu par la directive n°98/59 ? Selon Sylvaine Laulom, c’est loin d’être certain, car il faudrait pour cela que l’ensemble des obligations définies par la directive en termes d’informations à communiquer aux représentants des travailleurs et d’objet de la consultation soit respecté.
Force Ouvrière fera tout son possible, y compris par la voie judiciaire, pour empêcher la pérennisation de ce type d’accord, notamment eu égard au risque de prolifération de ce type d’accord dans le contexte actuel de crise économique engendrée par le covid-19.
Que négocier dans un APC ?
Dans le cadre de la négociation de ce type d’accord, il revient à l’employeur d’être le plus transparent possible et de fournir l’ensemble des informations nécessaires à la bonne compréhension de la situation économique de l’entreprise, à défaut de quoi il sera difficile de considérer que la négociation est menée loyalement.
Il est primordial que les syndicats obtiennent des contreparties à la hauteur de celles qui pourraient exister si un PSE était prévu en lieu et place d’un APC. Les dirigeants devraient s’engager à fournir des efforts proportionnés à ceux des salariés. Des clauses de retour à meilleure fortune devraient systématiquement être prévus.
Le 16 décembre 2020