Frédéric Says, France culture
C’est une constante politique : à chaque réforme contestée, le gouvernement promet de « faire davantage de pédagogie ». Sans toujours mesurer l’aspect contre-productif d’une telle promesse…
Nicolas Sarkozy est mis en examen. Marine Le Pen reste en bisbille avec son père. François Hollande va publier un livre sur le quinquennat. L’actualité semble manquer furieusement d’imagination ces temps-ci. Comme un sentiment de répétition… C’est aussi le cas aussi dans le domaine des « éléments de langage », ces phrases ciselées que les responsables politiques assènent dans les médias.
Parmi ces éléments de langage récurrents, en voici un qui survit à tous les gouvernements. Qui transcende toutes les alternances. C’est le fameux « il faut faire davantage de pédagogie de la réforme« . Vous l’entendrez forcément dans les prochaines heures, dans les prochains jours, après la mobilisation sociale pour la SNCF et les fonctionnaires. Les ténors macronistes l’avaient déjà employé à l’automne pour la réforme du code du travail.
« Faire plus de pédagogie« . Il y a précisément deux ans, c’était aussi l’élément de langage d’une certaine Myriam El Khomri, ministre de François Hollande, en charge de la loi Travail :
« Il y a encore un besoin de pédagogie, il y a des explications à donner. Et le débat parlementaire est là aussi pour répondre, pour faire participer… C’est essentiel qu’il y ait du débat »
En réalité, le débat se soldera quelques jours plus tard par l’article 49.3. Le temps de la pédagogie a ses limites…
« De la pédagogie et pas de démagogie »
Cet appel à la pédagogie ne s’applique pas qu’aux réformes du droit du travail. C’est aussi l’axe de communication choisi pour la réforme de l’assurance-maladie en 2004, portée par le ministre Philippe Douste-Blazy : « En faisant de la pédagogie et pas de la démagogie, on arrive à passer des réformes qui demandent des efforts aux Français, mais des efforts équitables« .
Derrière l’usage de ce terme, il y a l’idée que la « réforme » est forcément une bonne chose. Elle serait par définition dans l’intérêt de long terme des citoyens, même s’ils n’en ont pas encore pris conscience.
Mener une réforme, dans la carrière d’un responsable politique ambitieux, c’est aussi avoir l’occasion de prouver ses qualités de pédagogue… En 2004, le ministre de l’Education s’appelle François Fillon. Il réagit à un sujet du bac philo : « faut-il chercher à tout démontrer ? » :
« En tant que responsable politique, et au risque de vous surprendre, je pense qu’il ne faut pas chercher à tout démontrer mais avoir un objectif encore plus exigeant: celui de convaincre sur l’essentiel… Elle est là, la pédagogie de la réforme ! Pour atteindre cet assentiment général, il faut une force de conviction, qui n’est pas assimilable à la démonstration scientifique. C’est tout l’art du politique ! »
La question de la pédagogie est aussi parfois une belle échappatoire, par exemple après une rouste électorale. Et cela vaut aussi bien à gauche qu’à droite. En 2010, voici comment Frédéric Lefebvre explique la défaite de son camp aux élections régionales :
« Je pense qu’il a manqué une vraie pédagogie sur le rôle de la région ».
Autrement dit, si les gens ont mal voté, c’est parce qu’ils ont mal compris. Attention à l’aspect arrogant qu’un tel raisonnement peut dégager…
Allez pour finir, une archive sonore un peu plus lointaine, elle date de 1995. « La communication est souvent un art difficile. Nous allons nous employer à faire de plus en plus de pédagogie. Je crois que quand on explique bien la nécessité des réformes, les Français le comprennent… »
Celui qui parle ainsi est Alain Juppé, premier ministre. Quelques semaines après, devant l’ampleur des manifestations, il est contraint de retirer son projet de réforme. Peut-être que le problème n’était pas seulement un défaut de « pédagogie » ?
Le 24 mars 2018