Droit dérogatoire reconnu au préfet : un décret inquiétant
Afin de faciliter les activités dans certains départements, l'Etat laisse aux Préfets le soin de déroger à certaines réglementations notamment environnementales. Une expérimentation qui fragilise le droit et les autorisations qui seront prises sur cette base, selon l'avocat Christian Huglo.
Le décret n°2017-1845 du 29 décembre 2017 est relatif à l’expérimentation territoriale d’un droit de dérogation reconnu au préfet. Selon le commentaire qui l’accompagne au Journal Officiel, ce texte vise :
« A évaluer, par la voie d’une expérimentation conduite pendant deux ans l’intérêt de reconnaître au préfet la faculté de déroger à certaines dispositions réglementaires pour un motif d’intérêt général et à apprécier la pertinence de celles-ci. A cet effet, il autorise, dans
certaines matières, le représentant de l’Etat à prendre des décisions dérogeant à la réglementation, afin de tenir compte des circonstances locales et dans le but d’alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l’accès aux aides
publiques. »
Les préfets de régions concernés sont ceux des Pays de Loire, de Bourgogne Franche-Comté et de Mayotte et les préfets des départements du Lot, du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Creuse ainsi que le représentant de l’Etat à Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Ils peuvent donc déroger à des normes arrêtées par l’administration de l’Etat français sous deux conditions.
Deux conditions et deux ans d’expérimentation
La première condition est relativement vague, elle vise un certain nombre de matières dont l’environnement, la construction, le logement et l’urbanisme, la protection et la mise en valeur du patrimoine naturel en ce qui concerne l’aspect environnemental du sujet.
La deuxième barrière aux restrictions se trouvent justifier d’obligation pour l’administration à la fois d’un motif d’intérêt général et l’existence de circonstances locales, les deux critères
étant cumulés.
A cela s’ajoutent la justification et l’allègement des démarches administratives, la nécessité pour la mesure envisagée d’être compatible avec les engagements européens et internationaux de la France.
Que signifie ce texte ? Tout d’abord, il parait s’appliquer à la matière des autorisations administratives individuelles données dans le domaine des installations classées, de la réglementation sur l’eau, sur l’air et l’occupation des sols.
La mesure est expérimentale puisqu’elle doit faire l’objet, à l’issue d’un délai de deux ans, d’un rapport de l’administration centrale relatif aux contestations et aux contentieux auxquels les dérogations ont pu donner lieu.
Il s’agit tout simplement de faciliter probablement l’installation rapide d’entreprises et de zones d’activités dans les régions et départements considérés. D’une façon claire et précise, la seule disposition protectrice de l’environnement est la limite imposée permettant de
justifier de la compatibilité des mesures prises eu égard des engagements de la France.
La constitutionnalité d’une telle mesure mise en doute
En réalité, ce texte pose trois problèmes très simples :
Le premier concerne tout simplement l’affirmation d’une limite qui ne peut pas ne pas en être une. En matière d’environnement, de protection de l’air, du sol, il existe dans toutes les directives importantes des normes précises qui ont généralement, selon la jurisprudence classique de la Cour de Justice de l’Union européenne un effet direct, c’est-à-dire un effet qui s’applique directement en France que la transcription des directives ait été effectuée ou non. Bien entendu la compatibilité n’est pas la conformité mais on voit mal comment la limite ne sera pas franchie.
La deuxième observation est que de toute façon toute autorisation délivrée sera nécessairement fragile. Quelle peut être la responsabilité de l’Etat dans l’hypothèse effectivement où l’autorisation délivrée risque l’annulation plus que jamais ?
La troisième observation consiste à se poser sérieusement la question de la constitutionnalité d’un tel décret qui porte sur une assez longue durée.
Le principe de précaution, le principe de prévention ne se divisent pas et ne connaissent pas de parenthèse dans le temps. Il est donc plus que vraisemblable que l’autorisation sortie d’un tel système soit effectivement critiquée sur le plan constitutionnel même si s’agissant d’un décret, il ne saurait avoir lieu ici à la question prioritaire de constitutionnalité mais simplement à des déclarations d’inconstitutionnalité.
Sous couvert de droit, il s’agit de laisser à l’administration un véritable pouvoir d’opportunité et de mettre en parenthèses des lois et règlements habituels qui ont constitué notre Code de l’environnement.
Avis d’expert proposé par Christian Huglo, avocat associé fondateur du cabinet Huglo Lepage
Le 18 février 2018